Par Mireille Fesser Blaess, intervenante dans des programmes de ressources humaines de l'ESSEC Executive Education,
La gestion des ressources humaines se concentre aujourd’hui sur une gestion plus individualisée avec l’émergence de la notion de talent. Comment celle-ci s’inscrit au regard d’éléments tels que le potentiel, les compétences….?
Dans l’article en référence, un regard est porté sur l’étymologie des deux mots.
Puis sont analysés les similitudes et les différences de ces deux notions.
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D'autres articles autour de la notion de potentiel et de talent sur ce blog :
- Retrouver une video de Mireille Fesser Blaess sur les hauts potentiels
- Le blog de Mireille Fesser Blaess
- Lire le compte-rendu de la conférence de Maurice Thevenet : Les talents : « Des étoiles brillantes aux étoiles filantes »
- Et retrouver d'autres problématiques RH sur notre blog : les compte-rendus du club ESSEC RH
Dans un contexte où la gestion des talents est à l’ordre du jour de la plupart des sociétés à travers la désormais habituelle guerre des talents, qu’en est-il du lien avec la notion de potentiel ? Parle –t-on des mêmes notions ?
1- Quelques rappels étymologiques
L’origine de ces deux mots ne s’inscrit pas dans la même logique
D’un coté le potentiel vient du latin Potens ; Selon le Larousse (1995), le qualificatif potentiel « se dit d’une chose qui existe en puissance, virtuellement mais non réellement (qualité potentielle) – contraire : actuel ».
L’étymologie en est le latin potentialis, potens, puissant. L’expression « en puissance » désigne bien des phénomènes qui existent mais ne se manifestent pas encore. La GRH a transformé en substantif l’adjectif potentiel pour désigner les capacités professionnelles qui n’ont pas encore fait la preuve de leur performance. On parle de compétence, dès lors qu’elles deviennent visibles au travers d’un niveau de performance mais de potentiel, quand elles n’ont pas encore eu l’occasion de se manifester. Le concept s’est dégagé peu à peu de la pratique
Les rares définitions du haut potentiel recueillies lors d’un travail de recherche sur le même sujet furent les suivantes : « On parle ici de battre les standards de performance dans son poste actuel et de la capacité à évoluer rapidement. On parle ailleurs de population disposant d’un suivi particulier et bénéficiant d’un programme de formation qui vise à étendre les capacités mais aussi à forger les ambitions. D’autres, dans les comités de direction dressent la liste des personnes dont ils ont remarqué la performance et leur font subir les épreuves d’un « assessment center ». Enfin, autre pratique, un mentor rend, en interne, les services d’un coach auprès des salariés à qui vont être confiées, à terme, des responsabilités importantes ainsi qu’à ceux qui viennent d’y accéder. »
Peu d’informations, mais déjà l’essentiel : l’expression « haut potentiel » concernerait des (jeunes) collaborateurs, faisant la preuve de leur performance, pour qui l’entreprise organise des programmes de développement professionnel spéciaux, dans l’espoir d’y puiser ses futurs cadres dirigeants. La performance serait donc le critère décisif, du moins la condition sine qua non du bon déroulement du processus.
L’ambiguïté du concept de potentiel transparaît à travers la diversité de ses acceptions. P.-G. Hourquet et V. de Saint-Giniez en ont fait la synthèse et relèvent sept définitions du potentiel, qu’ils regroupent en trois catégories selon la forme d’évaluation à laquelle chacune d’entre elles correspond, diagnostic, pronostic ou prévision. .
Et la définition du potentiel se modifie aussi au fur et à mesure du glissement de la finalité de l’évaluation :
- c’est de plus en plus, pour l’entreprise, le souci de ne plus s’engager dans l’urgence mais de procéder avec méthode à l’ensemble des décisions de promotion de l’entreprise ;
- c’est de moins en moins, pour le salarié, une opportunité qui se présente comme un effet du sort, mais la satisfaction de faire partie du petit nombre de ceux qui ont toute chance de faire carrière dans l’entreprise.
En bref, le concept de potentiel a été opérationnalisé sans qu’on ait eu vraiment besoin de savoir ce qu’il recouvre. On comprend que les entreprises cherchent à procéder avec méthode à ces décisions de promotion et, notamment, à évaluer les potentiels.
Il s’agit aussi, de plus en plus, de communiquer aux salariés la possible appartenance à un groupe social constitué (happy few) pour lesquels l’entreprise développe une gestion différenciée similaire aux approches marketing « élitistes » existant hors ressources humaines. Il s’agit parfois aussi d’y associer des programmes de rétention et de fidélisation.
De l’autre le talent vient du latin talentum, mot qui désignait un poids et une somme d'argent en Grèce. Talentum était employé dans une parabole évangélique (« Parabole des talents », Matthieu, XXV) et a donné les sens figurés "état d'âme" et "aptitude" En ancien français et jusqu'au XVIe siècle, après avoir eu le sens d’« humeur » et « état d'esprit », talent a signifié "désir", "volonté", sens qu'on retrouve dans les locutions avoir en talent ("désirer"), faire son talent de ("agir à son gré"), dire son talent ("donner son avis").Le sens moderne, "don", "aptitude", est présent dans le latin scolastique (essor au XIIIe siècle) talentum.
Par rapport à l'emploi classique, "disposition naturelle ou acquise pour réussir en quelque chose", l'usage moderne met l'accent sur l'idée d'aptitude particulière dans une activité appréciée par le groupe social. En emploi absolu, le talent se dit d'une aptitude remarquable dans le domaine intellectuel ou artistique. Par métonymie, le mot sert à désigner la personne qui a un talent particulier, la qualité ou l'ensemble des qualités d'une œuvre dénotant le talent de son auteur
C’est défini aussi comme une aptitude distinguée, capacité, habileté donnée par la nature ou acquise par le travail (ainsi dit, comme l'a montré M. de Rémusat, par une métaphore tirée des talents de l'Évangile).
M. Buckingham et C. Coffman ont pu définir le talent comme un mode stable de pensée, de sentiments ou de comportement susceptible d’engendrer des résultats positifs. .
2- Convergences des notions
Que l’on parle de talent ou de potentiel, les deux aspects sont évoqués dans la littérature comme devant être développés. Ils ne sont pas à l’état brut, même si on rapproche parfois le talent du don.
Les deux notions sont considérées dans la littérature sur le sujet comme des notions supérieures à la compétence qui, elle, ramène à l’emploi, au poste.
Manager les hommes revient, pour une bonne part, à gérer leurs talents, notamment mettre à jour et développer leurs capacités. Parler de talent, c’est s’orienter sur les points forts, les compétences. C’est aussi admettre l’imperfection. C’est prendre les hommes comme ils sont, riches d’un potentiel que le manager se doit de détecter et de développer.
3- Divergences
Le potentiel dans les entreprises correspond à une dimension globale, une intégration à la norme sociale, aux valeurs exprimées par l’entreprise dans laquelle le potentiel s’exprime. Le potentiel correspond à une capacité à évoluer dans l’organisation au poste au moins supérieur au poste actuel et en principe avec une visibilité sur un deuxième poste au-delà de celui-ci.
Mais on peut parler alors d’attribution de potentiel, au sens de chance d’obtenir une promotion, plus que de détection du potentiel, au sens de probabilité de réussir dans le nouveau poste. Mais la réussite n’est pas une conséquence systématique de la promotion, sauf à dire qu’appartenir à un groupe identifié par des caractéristiques extérieures suffit pour réussir. L’appartenance à une communauté est, de fait, un des critères possibles de toute promotion.
Le talent apparait plus ciblé. On le reconnait à sa mise en œuvre immédiate, répondant à un besoin ciblé, à une utilisation particulière par l’entreprise.
Dans le mode de gestion, alors que le potentiel est évalué puis reconnu, le talent est reconnu et attendu. Il semble acquis. On ne parle pas d’évaluation des talents. On achète, on repère éventuellement un talent et on le travaille mais on ne l’évalue pas comme si sa particularité en faisait quelque chose d’unique et donc non mesurable dans le standards habituels. Une des conséquences sera que lorsqu’on parle de potentiel, on entrera plutôt dans une logique interne à une entreprise alors que lorsqu’on évoquera les talents on sera dans une logique externe.
Le potentiel sera ainsi plus spécifique à une entreprise. Dans le même temps, il est plus théorique et ne se mesure pas directement. Le talent sera lui visible quel que soit le type d’entreprise et identifié hors du contexte de celle-ci.
Du don spécifique, voire unique lié au talent à la normalisation sociale du potentiel, quel est et sera le besoin de l’entreprise pour son futur ? Sans doute un peu des deux. Pour cela elle ne devra pas les confondre ni gérer un talent comme un potentiel et vice versa. Sous peine de découvrir des divas lassées de la dimension travail qui reste, elle, nécessaire que l’on parle de talent ou de potentiel.
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