Par Philippe Pierre, Consultant. Chercheur au sein du Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Economique (LISE-CNRS)
« Frotter et limer sa cervelle à celle d’autrui » disait Montaigne. Peut-on apprendre le management des femmes et des hommes dans un autre environnement culturel, ce qui renvoie plutôt au « management interculturel » des entreprises qui s’internationalisent, et peut-on apprendre le management de femmes et d’hommes, victimes de discriminations, porteurs d’autres cultures dans un même environnement culturel, le sien, et qui renvoie plutôt au « management de la diversité » ? Peut-on se former à devenir « manager intégrant » de formes nouvelles de diversité souvent oubliées en entreprise ? Des managers habiles, non seulement, à lutter contre les discriminations et à conduire ensuite des équipes diversifiées.
Trois critères fondent généralement le principe d'une discrimination : l'existence d'un groupe ou d'une personne en situation défavorable, une différence de traitement et l'absence de justification de cette différence. Alors, comment former à la connaissance d’un processus discriminatoire et comment aider à sa résolution, car c’est bien de cela d’abord dont il s’agit ?
Une discrimination apparaît. Nous ne sommes pas responsables en
général, comme manager, de l’apparition elle-même, mais finalement du «
laisser-paraître » . Former revient à faire vivre une occasion de voir
et de diagnostiquer où se rencontre la discrimination. A quelle
fréquence ? En réalité, le savoir sur la discrimination ne se transmet
que peu. Il se construit. Il faut sortir du constat, du repérage, et
agir. « Une fois créées les conditions d’un « voir-çà » (la
discrimination) reste à en faire un « ça-voir » » . Pour les managers,
les compétences à construire sont d’abord de nature juridique. Il faut
connaître la portée des textes de lois. Identifier la dimension
délictueuse de la discrimination puis faire naître, faire partager aux
autres, partager avec les autres une norme d’action. Comprendre comment
les stéréotypes, par leur récurrence, finissent par acquérir un pouvoir
définitif d’explication des troubles, des difficultés à coopérer,
presque une valeur prédictive de l’échec. Savoir aussi quelle est la
part des conventions inutiles (préjugés, stéréotypes…) dans nos
critères d’évaluation par rapport à une mesure réelle de la performance
? Si la conduite de l’autre diffère de la mienne, et que je n’en suis
pas conscient, c'est-à-dire que je suis incapable de verbaliser cette
différence, j’ai toute chance de réagir de manière émotionnelle. J’ai donc besoin d’en prendre conscience en me formant.
E. DESCHAVANNE écrit que «
le choix de la discrimination positive comme méthode pertinente de
lutte contre les discriminations repose sur le constat de la
persistance d’une discrimination structurelle, enracinée dans les
mœurs, longtemps après l’effacement de la discrimination dans les
textes de loi » . L’objectif est de cesser de considérer les
mécanismes d’exclusion comme naturels alors que ceux-ci plongent leurs
racines dans les profondeurs des consciences . Comme la domination
masculine qui se propage et se perpétue, comme dans le choix des
horaires de réunion de travail par exemple, sans que personne ne le
veuille « vraiment ». Nous touchons là à l’effet « dérangeant », mais
nécessaire, des formations à la diversité qui peuvent aider à pointer
un sentiment d’infériorité intériorisé par les « minoritaires », les «
dominés » ou les « laisser pour compte à l’occasion d’une promotion»
(les personnes handicapées, les femmes, les homosexuels, les personnes
issues de quartiers sensibles, de « minorités visibles »…).
Former à la connaissance des processus discriminatoires revient à débusquer des ruptures dans l’égalité de traitement. La cause est variable : un préjugé, une habitude, un défaut de procédures, une méconnaissance du droit, un militantisme pour des idées non démocratiques… Ces compétences à acquérir sont aussi, pourrait-on dire, cliniques et politiques. Savoir faire le diagnostic et remonter aux causes. Repérer la puissance d’agir de la discrimination dans le discours, le parcours de chaque salarié, ses relations sociales, son sentiment d’appartenance. Comprendre les réactions des individus afin de favoriser ensuite l’émergence d’une parole politique au sein de l’institution et communiquer.
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