Par Philippe Pierre, Consultant. Chercheur au sein du Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Economique (LISE-CNRS)
Dans l’entreprise qui vit un déploiement international de ses activités et qui fait vivre des mouvements de personnel, les rapports quotidiens de travail mettent en cause des partenaires marqués par leurs appartenances à des pays, des groupes, des entreprises absorbées et se négocie donc, par le truchement de biens matériels ou de services échangés, des signes et des valeurs d’appartenance. Face à un contexte de négociation des identités et des affiliations culturelles, les formations à la diversité auraient sans doute plus d’affinité avec la palabre à l’africaine qu’avec les règles de la dissertation, en ce sens que pour se déployer, elles doivent respecter plusieurs temps et admettre des retours en arrière, des explications liées davantage aux relations entre les gens, aux phénomènes de catégorisation qu’à des modèles intra-psychiques .
Cela revient à une formation à la relativité des choses. Ainsi par exemple, « les Français croient qu’il y a une différence entre des choses. Par exemple, ils croient que tout ce qu’ils appellent « chien » sont des chiens et tout ce qu’ils appellent « chat » sont des chats. Ils ne croient pas en l’existence d’un être mi-chat mi-chien. Par contre, ils croient qu’il y a des êtres mi-cheval mi-âne » .
Dans ces formations à la diversité, dans leur visée idéale, les personnes du groupe ne cherchent pas à avoir raison ou à imposer un point de vue à tout prix pour affirmer leur force et leur droit . On co-établit les règles du jeu et on en co-assure le respect. Réciprocité forte qui s’établit quand les participants osent être vrais, vulnérables, sortis des fonctionnements mécaniques .
Ces formations poursuivent donc plusieurs buts : apprendre à ne pas
systématiquement connecter l’existence d’une qualité à son propre
regard et repérer des régularités de comportement (mais pas des liens
mécaniques), là où un observateur peu scrupuleux pourrait attribuer
pour toujours à l’appartenance à un groupe humain, enfermant ainsi ses
collègues dans une identité unique.
Ces formations consistent à
établir un entre-deux à construire ensemble. Sans cela, nulle
communication ne peut s’établir. « Pour que nous puissions parler
ensemble, il faut que nous ayons une réalité à nous. Il faut que nous
soyons d’accord sur cette réalité, sinon nous ne pourrons parler de
rien. Réciproquement, si nous parlons, cela veut dire que nous avons
des mots entre nous et, par conséquent, que les choses qui
correspondent à ces mots existent » : discrimination, déni de
reconnaissance… « L’autre », écrit A. TOURAINE, « est reconnu comme
sujet quand le second prend conscience que la différence qui le sépare
du premier n’exclut pas des références communes à la même réalité
objective. (…) La reconnaissance de l’autre est associée à l’action
technique. (…) L’unité du monde scientifique et technique et la
diversité des cultures ne s’opposent pas l’une à l’autre ; on ne peut
pas percevoir la diversité des cultures sans passer par la
reconnaissance de leur terrain commun d’interaction qui est celui de la
rationalité instrumentale » .
Comment le sens commun s’établit avec
le temps ? Les formations à la diversité doivent porter sur la façon
dont les faits sont « faits » et défaits (construits, fabriqués).
Comment les divisions s’imposent dans nos cultures ? Quel pouvoir
s’exerce dans ces processus de division ? Par exemple, casser des
lignes causales entre sexe biologique ou appartenance ethnique,
identité, pouvoir et exercice de direction.
Au final, le paradoxe de
tout travail de formation revient à accepter l'autre comme il est et
lui offrir la possibilité de devenir différent de ce qu'il est.
L’ambition de toute formation à la gestion de la diversité devrait être
toujours de « sublimer les différences entre les individus plutôt que
de les cultiver » .
Il n’est pas de justice possible en entreprise sans conscience des différences mais cela est long et difficile. Concluons en soulignant que « gérer » la diversité constitue un véritable parcours dont nous pouvons pointer quelques étapes nécessaires. Tout programme de formation à la diversité devra s’inscrire dans une politique globale où l’on aura pris soin d’identifier les catégories de diversité importantes pour l’entreprise (on ne peut pas traiter de tout et de front), les critères de mesure liés à ces catégories et les indicateurs de progrès, de vérifier l'impact réel de sa stratégie de gestion de la diversité, d’obtenir la confiance et le soutien des individus, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'entreprise, d’apprendre des autres entreprises et de comparer ses actions. Tout programme de formation à la diversité vise à faire en sorte que la gestion de la diversité fasse partie intégrante de la vie quotidienne de l'entreprise !
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