Par Daniel Hammer, Consultant en Management et Ressources humaines
Je pense que vous connaissez tous Sullenberger, Chesley Sullenberger. Ce nom ne vous dit rien ? Pour vous mettre sur la voie, je préciserai que je suis certain que vous ne le connaissiez pas avant le 15 Janvier 2009. Alors ? Si j’ajoutais que sa réussite a détourné pendant quelques heures l’attention portée à Barack Obama à quelques jours de son investiture et lui a valu de recevoir des coups de fil de deux Présidents des Etats-Unis (le sortant et le nouveau). Ca y est, vous savez maintenant qui est Chesley Sullenberger, ce héros qui a réussi à faire amerrir un Airbus sur l’Hudson et qui a sauvé la vie des 155 passagers et membres d’équipage, et bien plus si on pense à ce qui se serait passé si l’avion s’était écrasé sur un immeuble de Manhattan ou sur les promeneurs de Central Park.
Chesley Sullenberger est ma nouvelle idole ; pourtant je ne suis ni pilote, ni constructeur d’avion, ni producteur de film catastrophe. Sully, c’est son surnom, incarne le talent, que ceux qui n’en n’ont pas... appellent la chance ! Et c’est ce paradoxe dont je souhaitais vous entretenir, car son acte constitue un modèle pour tous ceux qui dirigent nos entreprises, nos institutions ; je compte bien vous le démontrer. Six minutes se sont écoulées entre le moment où les roues de l’Airbus quittaient la piste de l’aéroport de LaGuardia à New York et le moment où l’avion, privé de ses 2 moteurs, se posait en douceur sur les flots de l’Hudson, à quelques centaines de mètres de Central Park. L’écoute de la boite noire nous fait découvrir que c’est en fait, en moins de 2 minutes, que tout s’est joué. L’avion est en phase de montée, à environ 1 000 mètres d’altitude, en contact avec le contrôle du trafic qui lui indique le cap et les paliers. Soudain Sully informe le contrôle qu’il a heurté des oiseaux et perdu toute puissance sur les 2 moteurs. Il décide de virer à 180° pour revenir vers l’aéroport. Lorsque la tour lui propose d’atterrir sur la piste 13, il s’en dit incapable et indique qu’il devrait finir le vol sur l’Hudson. A ce stade, le contrôle ne relève pas la phrase et confirme la piste 13. Sully rétorque qu’il ne peut pas. On lui propose alors une autre piste qu’il refuse immédiatement. Il demande s’il pourrait aller vers le New Jersey, sur l’aéroport de Teterboro (notre équivalent du Bourget). En 20 secondes, une piste est dégagée, prête à recevoir l’avion. Sully répond qu’il ne peut pas le faire. Le contrôle lui demande alors s’il souhaite une autre piste. Sully répond : on va sur l’Hudson. Le contrôleur relève alors l’énormité de l’enjeu et demande à Sully de répéter, mais les contacts radio et radar sont déjà perdus. Il propose encore un autre aéroport, mais le pilote d’un autre avion dit alors au contrôleur « je pense qu’il a dit qu’il allait dans l’Hudson ». Les meilleurs scénaristes de films catastrophes n’auraient osé écrire un tel script ! Et pourtant, Sully l’a fait.
Quels enseignements peut-on tirer d’une telle réussite ? En premier lieu, un sens profond de la prise de décision. L’objectif de l’Hudson est mentionné dans les quelques secondes qui ont suivi la constatation de la panne. Des scénarii alternatifs sont certes envisagés, mais rapidement récusés. Sully a défini le point où il voulait aller, il va s’y tenir et va tout faire pour l’atteindre. En second lieu, un sang froid impressionnant, la voix ne tremblant jamais pendant la totalité de la conversation entre le cockpit et le contrôle. On retrouve ce même sang froid chez le contrôleur qui jongle avec ses différents interlocuteurs pour investiguer les alternatives. En troisième lieu, un phénoménal professionnalisme. On apprendra plus tard que Chesley Sullenberger totalise plus de 19 000 heures de vol, qu’il a été pilote dans l’armée de l’air, qu’il est spécialisé dans la sécurité aérienne, qu’il a participé à de nombreuses enquêtes d’accidents d’avion, qu’il a même un cabinet de conseil spécialisé dans les méthodes de sécurisation et de vérification en aéronautique. Pendant ce dialogue avec le contrôle, avec l’aide de son copilote, il a préparé l’avion au plus extraordinaire des amerrissages. Il faut rappeler qu’il n’y a qu’une chance sur un million pour que les 2 moteurs d’un avion tombent simultanément en panne et c’est la raison pour laquelle cette double panne ne figure pas au programme officiel des entrainements en simulateur. Par contre l’avion peut planer pendant une durée très limitée. Les experts affirment que compte tenu de son altitude et de sa vitesse, il pouvait le faire durant environ 3 minutes. C’est ce facteur que Sully a intégré, dès la constatation de la panne, pour fixer son objectif. Les changements de trajectoire auraient cependant limité cette capacité ; c’est pourquoi, une fois accompli le premier demi-tour, Sully n’a plus accepté d’autres options, qui auraient fragilisé un atterrissage sur une piste d’aéroport. Il lui a fallu ensuite gérer la descente inévitable pour que l’avion se pose sur le fleuve à une vitesse minimale pour réduire l'impact, tout en touchant l’eau avec l'arrière du fuselage, et enfin laisser tomber doucement l'avion. Tout cela en quelques secondes et en évitant les ferries, et autres cargos nombreux sur l'Hudson, après être passé juste au-dessus du pont George Washington.
Voyez-vous quelque chose de laissé au hasard dans cette manœuvre ? Avez-vous le sentiment d’une quelconque improvisation ? Moi pas. J’y vois une attitude dont nombre de leaders devraient s’inspirer : la volonté de réussir ; j’ai bien dit volonté, et non pas probabilité, espoir ou chance. Toute une différence si on y réfléchit bien. Quand on dit en parlant d’un projet, qu’on a de bonnes chances de réussir, c’est qu’on s’est déjà résolu à ne pas endiguer l’ensemble des obstacles qui pourraient en empêcher l’aboutissement. Inconsciemment, on a donné une importance plus grande à l’échec qu’au succès, en annonçant sa probabilité ; on s’est placé dans cette culture de l’excuse dont se drapent tant de responsables, en entreprise, comme en politique. Au moindre incident, on sera enclin à baisser les bras, ce qui ne surprendra personne, puisqu’on n’avait jamais promis la réussite. Au contraire, vouloir la réussite, c’est intégrer l’ensemble d’une problématique, pour dégager les menaces et les opportunités, et se concentrer sur ce qu’il conviendra d’accomplir pour atteindre son but. Quand on est capable de faire cela dans les délais impartis au « planeur Airbus », c’est qu’on est parfaitement maître de toutes les techniques et qu’on a une connaissance totale des caractéristiques de son avion.
Si Sully avait seulement pensé aux statistiques, il se serait rappelé qu’il n’y a apparemment pas plus de 2 ou 3 cas avérés d’amerrissages réussis avec des avions commerciaux. Il aurait dit au contrôle on tente notre chance, et si l’avion s’était désintégré, il aurait été vivement félicité - à titre posthume - pour avoir tout fait pour sauver les passagers et les membres d’équipage, en évitant aussi à l’avion de se crasher sur des habitations. Il ne l’a pas dit, puisqu’il a annoncé depuis le début vouloir se poser sur l’Hudson. Et puis, il y a eu les réactions post amerrissages. Notre héros, commença à chanceler sur son piédestal, lorsque certains experts affirmaient que l’Hudson était légèrement gelé en surface, ce qui avait empêché les clapotis ; avec des clapotis, l’avion se serait désintégré. Ils en concluaient que Chesley avait eu de la « chance » ! Cette attitude, toute nationale, consistant à rechercher les failles d’une réussite, plutôt que d’en louer les circonstances, est un autre enseignement que je tenais à souligner. Au lieu de susciter l’admiration, la réussite crée au mieux de l’envie, souvent de la jalousie, et du dénigrement, hélas ! Si l’on montre du doigt celui qui réussit, on risque de froisser la multitude de gens moyens qui se laissent bercer sur les flots de la tranquillité, du laisser faire, voire du laisser aller. En politique, combien de fois a-t-on vu un parti d’opposition féliciter le gouvernement pour la réussite d’un plan dont profite l’ensemble de la collectivité ? Mais Barack Obama lui, en a décidé autrement ; il a placé Sully et son copilote à quelques mètres de lui, le 20 janvier lors de la cérémonie d’inauguration.
Et pour terminer, je voulais vous dire que j’ai fait un rêve (cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ?). • le modèle Chesley Sullenberger pourrait être rapidement mis au programme des écoles, des universités pour inculquer à nos jeunes le sens de l’engagement, de la détermination, du résultat ;
• les cadres pourraient plancher en entreprises sur des cas pratiques en s’inspirant des enseignements de l’Hudson, notamment dans le domaine de la fixation des objectifs, de leur niveau d’ambition, du processus de prise de décision, de l’importance du professionnalisme ;
• la fonction publique pourrait développer un institut Sully (l’américain), où nos fonctionnaires s’initieraient aux techniques visant à les responsabiliser dans la prise de décision et leur enseignant comment fixer un cap et s’y tenir.
Finalement, je viens de réaliser que Sully n’avait fait que pratiquer le slogan d’Obama Yes we can !
Chesley Sullenberger, je voulais simplement vous dire que je vous admire.
Daniel Hammer, Ancien DRH de 3M Auteur de : Cadres Academy - Ce que vos patrons ne vous diront pas forcément sur la réussite. (Editions du Cygne)
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