par Anne CAZAVAN-JENY, Professeur associé au département comptabilité et contrôle de gestion de l'ESSEC
Alors
que l'organisme de normalisation américain (FASB, Financial Accounting
Standards Board,) exige le passage en charges immédiat de tous les
frais de R&D (SFAS n°2), les normes internationales (IAS 38)
prescrivent l'inscription à l'actif (capitalisation) des frais de
R&D s'ils remplissent certaines conditions. Les règles comptables
françaises (CRC 04-06) continuent à laisser au dirigeant le choix de
capitaliser ou non les frais de R&D si le projet remplit ces mêmes
conditions.
Les partisans du passage en charges défendent cette
méthode car elle empêche une utilisation opportuniste de l'inscription
à l'actif des frais de R&D. Elle est, de plus, conforme au principe
de prudence. Les partisans de l'inscription à l'actif rétorquent que
les dépenses de R&D sont parmi les actifs économiques les plus
prisés de l'économie actuelle et qu'ils constituent de véritables
investissements, c'est-à-dire créateurs de revenus futurs pour
l'entreprise. Selon Lev et Sougiannis (1999), le refus des comptables
de reconnaître ces dépenses comme des actifs affecte sérieusement la
pertinence des états financiers. Ainsi, le passage en charges des frais
de R&D fournit une information objective et vérifiable alors que
l'inscription à l'actif des frais de R&D peut être utilisée pour
véhiculer de l'information, mais est également moins fiable. Pour le
normalisateur, il existe donc un choix à faire entre la pertinence
(capitalisation des frais de R&D) et la fiabilité de l'information
(passage en charges).
En France (Règlement CRC 04-06), les dépenses engagées pour la recherche doivent être comptabilisées en charges lorsqu'elles sont encourues. En revanche, les coûts de développement peuvent être comptabilisés à l'actif s'ils se rapportent à des projets nettement individualisés, ayant de sérieuses chances de réussites technique et de rentabilité commerciale. La règle française depuis le CRC 04-06, s'est largement rapprochée de la norme internationale. En effet, la distinction entre recherche fondamentale, recherche appliquée et développement (qui existait dans le Plan Comptable Général 1999, PCG 99) est abandonnée au profit d'une dichotomie phase de recherche, phase de développement. De plus, les trois critères du PCG 99 sont précisés et ramenés aux critères de l'IAS 38. Cependant, même si la comptabilisation des coûts de développement à l'actif est considérée comme la méthode préférentielle par le nouveau règlement du CRC, une divergence importante subsiste avec la norme IAS 38 qui impose l'activation de ces coûts dès lors que les différentes conditions sont remplies. Enfin, il est intéressant de rappeler la norme américaine puisque certaines sociétés françaises ont une double cotation France/Etats-Unis et doivent de ce fait présenter des comptes en US GAAP, où tous les frais de R&D (à l'exception des coûts de développement des logiciels) doivent être passés en charges de l'exercice au cours duquel ils sont engagés.
La règlementation française de traitement des frais de R&D peut donc être à la fois compatible avec les normes américaines (US GAAP) qui prévoient un traitement uniforme en charges de tous les frais de R&D et avec les règles internationales (IFRS) qui prescrivent une inscription obligatoire à l'actif de la R&D « rentable ». Le tableau 1 détaille les différentes règles de comptabilisation en matière de R&D.
|
Normes |
R&D passée en charges |
R&D inscrite à l'actif (uniquement le développement) | |||
Règle générale |
Information séparée |
Autorisée |
Option |
Amortissement & Impairment* | ||
France |
Art. 361-2, PCG 99 |
Oui |
Non |
Oui, sous conditions |
Oui, exceptionnel |
Amortissement sur 5 ans max. |
Remplacé par le :
CRC 04-06 |
Oui |
Oui |
Oui, sous conditions |
Oui, méthode préférentielle |
Amortissement sur la durée de vie utile + test d'impairment annuel | |
IASB
|
IAS 38 & IAS 36 |
Oui |
Oui |
Oui, sous conditions |
Non |
Amortissement sur la durée de vie utile + test d'impairment si la durée de vie est > à 20 ans |
Etat-Unis |
SFAS N°2 |
Oui |
Oui |
Non |
|
|
SFAS N°86** |
Oui |
Oui |
Oui, sous conditions |
Oui |
Amortissement sur la durée de vie utile |
Le tableau 2, ci-dessous, résume l'impact de
la capitalisation la première année (colonnes 2 et 3), puis sur la
durée de vie du projet de R&D (colonnes suivantes). Le résultat net
est sensiblement amélioré l'année de la capitalisation du projet de
R&D. Cependant, il ne faut pas oublier que la R&D capitalisée
va avoir un impact sur toute sa durée de vie, dans le cas de notre
exemple : 5 ans. Cette nouvelle immobilisation incorporelle va en effet
générer des charges de dotation aux amortissements sur l'ensemble de sa
durée de vie, ce qui a un impact négatif sur le résultat net.
- Il s'agit tout d'abord de respecter le principe de rattachement des charges aux produits (ou matching principle). Les dépenses de R&D, dans le cas d'un projet réussi, devraient être en relation avec les périodes futures où les bénéfices arriveront. De ce fait, les frais de R&D devraient être inscrits à l'actif, puis amortis et non passés dans les charges de l'exercice.
- La capitalisation des projets de R&D rentables permet de rapprocher la valeur comptable d'une société de sa juste valeur. Elle prend en compte les perspectives de bénéfices futurs liés à cet investissement et augmente ainsi la pertinence de l'information comptable pour l'évaluation.
- Les bénéfices économiques futurs issus de la R&D ne peuvent pas être définis avec suffisamment d'objectivité et il n'est pas sûr qu'ils reviendront bien à l'entreprise au moment où elle engage les frais de R&D pour que la capitalisation soit justifiée. Dans ce cas, le principe de prudence conduit à enregistrer ces frais en charges.
- Même si le manager décide de bonne foi d'inscrire à l'actif un projet de R&D qu'il croit rentable, il se peut qu'il ne soit pas capable d'évaluer avec fiabilité la rentabilité future de ce projet de R&D. Le risque est celui d'une baisse de la fiabilité de l'information comptable.
Que penser du caractère obligatoire de la capitalisation ?
- Si la norme est correctement appliquée, seuls les projets de R&D rentables seront reconnus au bilan des sociétés, ce qui devrait améliorer le caractère informatif des états financiers.
- La capitalisation obligatoire devrait faciliter la comparabilité entre les sociétés et éviter les choix discrétionnaires de la part des managers.
- Cependant, la capitalisation obligatoire des projets de R&D rentables oblige la société à divulguer une information stratégique à ses concurrents.
Finalement, le mode de comptabilisation de la R&D peut être vu comme un moyen de réduire l'asymétrie d'information entre les managers et les investisseurs. La capitalisation des frais de R&D permet de distinguer les projets remplissant les conditions d'inscription à l'actif (et donc considérés comme « à succès ») de ceux ne les remplissant pas (les projets « non rentables » car ne remplissant pas les conditions d'inscription à l'actif). Ce mode de communication d'information est toutefois imparfait car il est également possible que l'inscription à l'actif des frais de R&D soit utilisée de façon opportuniste par les managers. En effet, toutes choses égales par ailleurs, l'inscription à l'actif des frais de R&D diminue le levier d'endettement (car elle augmente les capitaux propres) et permet de lisser le résultat. Ces deux conséquences peuvent être recherchées par les dirigeants dans le cadre d'une gestion opportuniste du résultat.
Les études empiriques tendent à s'accorder sur la pertinence de l'inscription à l'actif de la R&D. Zhao (2002) a étudié comparativement la pertinence de l'inscription à l'actif des frais de R&D en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Etats-Unis. Il montre que dans les pays où il n'est pas possible d'inscrire la R&D à l'actif (Allemagne, Etats-Unis), l'information publiée sur les dépenses de R&D améliore l'utilité des résultats et des valeurs comptables pour les marchés. Il démontre également que l'allocation des coûts de R&D entre charges et actif fournit plus d'information que la simple divulgation des coûts totaux de R&D (uniformément enregistrés en charges). Aux Etats-Unis, Lev et Zarowin (1999) montrent que les variations d'intensité de R&D (R&D/Chiffre d'affaires) apportent une information supplémentaire significative et qu'il est nécessaire de contrôler les effets sectoriels dans toute recherche sur le traitement comptable de la R&D, car ces dépenses sont par nature spécifiques aux secteurs. De même, Aboody et Lev (1998) montrent que les coûts de développement des logiciels inscrits à l'actif sont positivement associés avec les cours et les rendements boursiers. Callimaci et Landry (2004) obtiennent des résultats similaires en étudiant l'inscription à l'actif de la R&D au Canada, où la capitalisation est obligatoire si le projet remplit les conditions d'activation. Globalement, ces résultats suggèrent que l'inscription à l'actif des frais de R&D, sous certaines conditions de réussite, est utile car elle agit comme un signal positif auprès des investisseurs.
Le contexte français présente un champ d'expérimentation unique pour étudier l'utilité de la capitalisation de la R&D, puisque les deux traitements comptables sont autorisés (passage en charges et inscription à l'actif). Les résultats des études françaises sur la capitalisation de la R&D (Cazavan-Jeny, 2004 ; Cazavan-Jeny et Jeanjean, 2005, 2006) contrastent avec ceux menés dans un environnement nord-américain. Ils montrent en effet que la R&D capitalisée est négativement associée avec les cours et les rendements boursiers, ce qui indique que les investisseurs prennent en compte l'information contenue dans la R&D capitalisée et la valorisent négativement. Ces résultats laissent penser qu'en France au moins, la structure de contrôle qui s'exerce sur le dirigeant n'empêche pas une utilisation opportuniste de la capitalisation, et que cet opportunisme est anticipé par les utilisateurs de l'information financière. Une autre interprétation est que les managers, même s'ils inscrivent à l'actif la R&D de bonne foi, ne sont pas capables de discriminer les programmes de R&D rentables des projets non rentables. Il est également possible que les dirigeants n'activent pas les projets de R&D rentables pour ne pas divulguer une information stratégique. En France, la fiabilité de la capitalisation de la R&D, qui reste un choix comptable, semble remise en question.
Les divergences de résultats entre ces études montrent également que le contexte institutionnel doit être pris en compte pour apprécier la pertinence des normes comptables. Dès lors, il est légitime de s'interroger sur la suppression du caractère optionnel de la capitalisation des frais de R&D pour les sociétés cotées françaises. Cela permettra-t-il d'accroître la fiabilité de cette information comptable ? En effet, la capitalisation est un premier pas vers une amélioration de la pertinence de l'information comptable et financière. Mais l'exemple français (option) montre que cela peut être au détriment de la fiabilité. Il est alors possible que l'application des normes internationales y remédient, puisqu'elles rendent obligatoire la capitalisation des frais de R&D « rentables » et elles imposent des tests d'impairment, qui permettent de reprendre des actifs de R&D qui auraient perdu leur valeur.
Ses thèmes de recherche s'articulent autour des liens entre l'information comptable et les marchés financiers, les introductions en bourse, les immatériels, la rémunération des dirigeants. Elle a publié plusieurs articles dans les revues académiques suivantes : Review of Accounting and Finance (à venir en 2007), European Accounting Review (2006), Comptabilité-Contrôle-Audit (2004, 2005), Accounting, Auditing and Accountability Journal (2001).
Aboody, D. et Lev, B. (1998) ‘The value relevance of intangibles: The case of Software capitalization', Journal of Accounting Research, 36(Supplement): 161-191.
Barth, M. (1994), ‘Fair value accounting: Evidence from investment securities and the market valuation of banks', The Accounting Review, 69: 1-25.
Callimaci A. et Landry S. (2004), ‘Market valuation of research and development spending under Canadian GAAP', Canadian Accounting Perspectives, 3(1): 33-53.
Cazavan-Jeny, A. (2004) ‘Le ratio market-to-book et la reconnaissance des immatériels – Une étude du marché français', Comptabilité-Contrôle-Audit, 10(2) : 99-124.
Cazavan-Jeny, A. et Jeanjean, T. (2005) ‘Pertinence de l'inscription à l'actif des frais de R&D : une étude empirique', Comptabilité-Contrôle-Audit, 11(1) : 5-21.
Cazavan-Jeny, A. et Jeanjean, T. (2006) ‘The negative impact of R&D capitalization : a value relevance approach', European Accounting Review, 18(1): 37-61.
Lev, B. et Sougiannis, T. (1999) ‘Penetrating the Book-to-Market Black Box: The R&D Effect', Journal of Business Finance and Accounting, 26(3/4): 419-460.
Lev, B. et Zarowin, P. (1999) ‘The boundaries of financial reporting and how to extend them', Journal of Accounting Research, 37(2): 353-385.
Zhao, R. (2002) ‘Relative value relevance of R&D reporting: An international comparison', Journal of International Financial Management and Accounting, 13(2): 153-174.
Nice post, i appreciate your efforts which you have done to share information with others.
Accounting Dissertation
Rédigé par : Accounting Dissertation | 26 janvier 2010 à 17:37
C'est excellent comme exposé
Rédigé par : OUKEMOUM BELAID | 27 mars 2008 à 20:04